Hors-série ESS de Politis

L’ESS en 2019, un nouvel élan ?

Dans son hors-série, l’hebdo Politis dresse un panorama critique de l’ESS dans le contexte actuel. Des regards croisés sur cet objet pas toujours bien identifié notamment par les acteurs publics. Michel Abhervé, en observateur avisé, livre un point de vue « nuancé ».

Les nombreux articles allient des approches générales, des illustrations concrètes et un regard étranger avec une préoccupation commune réaffirmer la nécessité d’une articulation retrouvée entre mouvement social et ESS face à l’offensive libérale actuelle.

Une bonne partie des articles est consultable en ligne, mais consacrer 5,90 € à l’achat de la version papier est un investissement fort utile.

Sommaire du hors-série

3 Réinventer les possibles  par Pouria Amirshahi

4 L’ESS, une idée d’avenir !  par Jean-Philippe Milesy

6 Économie sociale, solidaire… et innovante

Aux sources de l’ESS, le mouvement socialScop-modèlesUn entrepreneuriat de la tempéranceL’émancipation, c’est (aussi) du boulot !Travail du futur, combat d’aujourd’hui« Scop-Ti donne l’exemple d’un autre modèle »Cultiver bien pour manger mieuxLa santé pour tous et par tousLe virus coopératif

19 Les territoires, lieu d’élection des mutuelles et des associations

Mutualité : l’enjeu de la différenciation« Susciter l’envie de s’engager »Retrouver une ambition mutuelleLes associations, écoles de la citoyennetéTravailler dans une association est-il émancipateur ?Les veilleurs des territoiresLe défi des Scic : ainsi va l’innovationCohésion sociale : réparer ou transformer ?« Créer des écosystèmes locaux »

30 Les zones d’ombre

L’ESS peut-elle éviter le social washing ?L’ESS ignoréeLe rendez-vous manqué avec le travailUn autre patronat est possible !Une ESS en rose et bleu ?Faire ensemble : le nouveau programme des étudiants

38 La place de l’ESS : ouvrir le débat

« Une internationalisation d’un nouveau type »Vers un renouvellement du mouvement altermondialisteLes ambiguïtés de l’Union européenneInvestissement solidaire et transition écologiqueUne bataille politiqueDépasser la propriétéPour les communs sociauxUn nouveau rôle dans la démocratie

Parmi ces articles, nous reproduisons (avec son autorisation) celui de Michel Abhervé qui était notre invité le 15 avril 2015 pour la conférence-débat sur la loi de l’ESS (le lien et les renvois sont à l’initiative de l’Udess 05).

L’ESS ignorée

De trop nombreux acteurs institutionnels s’emploient à réduire l’entreprise à sa forme capitaliste.

Pour suivre dans mon blog l’actualité de l’ESS, je constate un double phénomène, en apparence contradictoire, un usage croissant, quelquefois sans limites, et parfois erroné, de l’appellation ESS, et son absence dans des domaines importants.

Dans le premier cas, il est difficile de faire la part des choses entre ce qui relève de l’ignorance, et de ce qui relève de la confusion volontaire, de la part de certains qui veulent s’approprier l’image sympathique de l’ESS sans vouloir appliquer les règles qui ont permis de forger cette bonne image, malgré quelques dérives.

Le deuxième cas se retrouve dans divers domaines. Nous allons en indiquer quelques-uns, sans, bien sûr, prétendre à l’exhaustivité.

Le premier concerne la place, ou plutôt l’absence de place de l’ESS dans le monde éducatif. Le MEDEF et des économistes libéraux déplorent, très régulièrement, que l’enseignement de Sciences Économiques et Sociales ne se réduise pas à la compréhension du fonctionnement de l’Entreprise (avec un grand E), alors que pour eux, il n’est en réalité qu’un type d’entreprise qui vaille, l’entreprise de capitaux. Malgré les efforts de L’ESPER pour faire prendre en compte la diversité des entreprises, l’hégémonie se conforte dans les nouveaux programmes des lycées, fondés sur la prééminence d’une approche économiste presque complètement déconnectée de la prise en compte de la dimension sociale. (1)

Le deuxième concerne l’Université où le réel développement d’enseignements et de recherches concernant l’ESS est plus l’affaire d’enseignants-chercheurs motivés que d’une institution qui a du mal à intégrer une approche réellement interdisciplinaire, comme le montre, après mobilisation du ban et de l’arrière-ban des économistes orthodoxes, le refus réitéré de la constitution d’une section Économie, société et territoires au sein du CNU, Conseil Nationale des Universités

Le troisième concerne les nombreuses actions destinées à former les créateurs d’entreprise, souvent organisées par les institutions consulaires. Une très faible proportion d’entre elles donne une information complète sur l’ensemble des formes juridiques possibles, pour permettre un choix éclairé en fonction des objectifs, alors que la grande majorité ne mentionne pas, volontairement ou par simple ignorance, que la forme coopérative, et tout particulièrement celle des SCOP et des SCIC sont les statuts les plus adaptés à certains projets, fondés sur l’implication des salariés ou la mobilisation d’un partenariat diversifié

Le dernier, est sans doute le plus important, concerne la faible reconnaissance des employeurs de l’ESS au sein des instances de la démocratie sociale. Durant le quinquennat précédent, ils avaient eu droit à une demi reconnaissance, avec l’invention d’une catégorie d’employeurs multi professionnels, façon de ne pas mécontenter un MEDEF très attaché à son hégémonie au sein du monde patronal exercée au sein des employeurs inter professionnels.

C’est en s’appuyant sur cette subtile distinction entre inter et multi que la Loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel va réduire la place des employeurs de l’ESS dans les instances de la formation professionnelle, en particulier en les écartant des Commissions Paritaires Régionales, qui auront pour mission de valider les projets de CPF de transition professionnelle, faible alternative à la suppression du CIF, Congé Individuel de Formation, comme les projets de formations des salariés démissionnaires, condition pour permettre à ceux-ci de bénéficier de l’assurance chômage, en application fort limitée de la promesse de campagne.

Nous aurions pu multiplier les exemples, tant cette tendance à oublier l’ESS et ses spécificités est coutumière, sans être récente, comme nous venons encore de le voir avec la tentative, au détour d’obscures dispositions du Projet de Loi de Finances 2019, de supprimer la non-imposition des excédents mis en réserve pour fortifier la part de propriété collective constitutive des SCIC comme des SCOP. (2)

Mais tous tentons en conclusion une hypothèse : ces tentatives sont d’autant plus nombreuses et ont d’autant plus de chances d’aboutir dans le positionnement inadéquat actuel de la place de l’ESS dans l’organisation de l’État, surtout quand le Haut-Commissaire à l’ESS qui a pour mission selon le décret qui a créé la fonction d’ « animer et coordonner l’action des différents ministères en matière d’économie sociale et solidaire et d’innovation sociale » n’assure guère cette partie de sa mission, préférant dire à la place des acteurs ce qu’ils doivent faire, comment ils doivent s’organiser, en croyant que l’histoire de l’ESS, construction collective inscrite dans l’histoire, ne commence en fait qu’avec sa personne.

(1) cf. L’ESS absente des futurs programmes des lycées ?  De la maternelle au lycée, toutes les classes peuvent participer !

(2) Alerté par l’Udess 05, le député des Hautes-Alpes, Joël Giraud, rapporteur général du budget, s’est opposé (avec succès) à cette tentative.