L’ESS absente des futurs programmes des lycées ?
Sept collectifs de professionnels et d’enseignants-chercheurs s’élèvent contre l’absence de l’ESS dans les propositions de nouveaux programmes de sciences économiques et sociales au lycée : « aucune place n’est faite ni aux réalités de l’économie sociale et solidaire, ni à ses modèles ».
Tribune publiée par Le Monde le 30 janvier 2019
Dans le cadre de la réforme du baccalauréat et du lycée annoncée le 14 février 2018, le groupe d’experts chargé d’élaborer des propositions de nouveaux programmes de sciences économiques et sociales (SES) a fait connaître le 15 octobre 2018 ses premières conclusions pour l’enseignement hebdomadaire d’une heure et demie en seconde et de quatre heures en première. Les six heures prévues pour la classe de terminale sont encore en chantier.
Pour les acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS) comme pour les enseignants-chercheurs spécialistes de ce domaine, rien de nouveau sous le soleil à la lecture de ces premières propositions. Comme hier, aucune place n’est faite ni aux réalités de l’ESS, qui compte pourtant 10,3 % des emplois au niveau national ou 3 millions de coopératives dans le monde, ni à ses modèles pourtant enseignés dans une dizaine de chaires universitaires en France. Cette lacune est en contradiction flagrante avec l’objectif affiché par la lettre de saisine du Conseil supérieur des programmes du 28 février 2018, où le ministre de l’éducation nationale stipule que les lycéens doivent « comprendre le monde dans lequel ils vivent ».
Dans le champ des sciences économiques et sociales, et en particulier en économie, le monde dans lequel vivent les lycéens est de plus en plus marqué par la question de la transition écologique. La COP 21 et l’accord de Paris de 2016 n’ont-ils pas été un événement majeur ? Plus largement, les transitions vers les énergies renouvelables, les circuits courts, une mobilité douce ou une finance verte, sont au cœur des enjeux de notre monde économique, social et politique actuel.
Nicolas Hulot et l’ESS
Pour marquer le rôle fondamental de l’ESS dans ces transitions, qu’elle joue déjà et qu’elle jouera demain encore plus, Nicolas Hulot avait souhaité intituler son ministère « ministère de la transition écologique et solidaire ». Avant d’en démissionner, il eut souvent l’occasion de préciser, notamment devant le Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire, que l’ESS et son mode d’entreprendre, qui intègre l’économique et le social, était l’une des conditions de cette transition écologique.
La note d’orientation du ministère de l’éducation nationale d’avril 2018, à destination des groupes d’experts, précisait aussi que « l’une des finalités de la réforme consiste à mieux accompagner les élèves dans leur parcours d’orientation » en reliant mieux les enseignements du lycée et ceux de l’université. A l’heure où les nombreuses filières universitaires ouvertes en ESS voient affluer des étudiants, cette impasse sur l’ESS dans les programmes est à contre-courant de la forte tendance des jeunes à s’investir dans des études et des activités qui ont du sens parce qu’attachées à une utilité sociale.
L’absence de l’ESS parmi les « savoirs fondamentaux » en SES n’est malheureusement pas une surprise. Car son intégration suppose de revoir profondément l’enseignement de l’économie au lycée et son rapport aux deux autres blocs de connaissance, la sociologie et la science politique. Ce qui va bien au-delà d’un simple rééquilibrage des heures.
Mobiliser Amartya Sen
La question de base qui ouvre le programme de seconde en économie est ainsi formulée : « Qu’est-ce qu’une allocation efficace de ressources rares ? ». En contradiction là encore avec la lettre d’orientation selon laquelle « la culture scolaire commune est fondée sur des disciplines historiquement construites », cette question n’est pourtant pas la question de base en économie. Elle n’est formulée ainsi qu’en 1932 par l’économiste britannique Lionel Robbins (1898-1984).
Plutôt que de reléguer Amartya Sen, comme le fait le groupe d’experts, dans le dernier chapitre du programme de seconde sur les « regards croisés », il serait préférable de le mobiliser dès la leçon n° 1 pour introduire le débat sur la définition de l’économie. En effet, à l’encontre de Robbins, Sen propose que la question de base de l’économie soit de nature morale et politique, en intégrant dès le départ la dimension de la justice.
D’ici juin 2019 et la diffusion des programmes définitifs, il nous reste cinq mois pour nous atteler à la tâche d’une refonte des programmes qui ferait une place à l’ESS pour mieux articuler la sociologie, l’histoire, le droit, les sciences politiques et la philosophie. En s’appuyant par exemple sur une note que l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (UDES) avait élaborée il y a deux ans dans le cadre d’une précédente saisine… sur l’enseignement de l’économie au lycée.
Les sept collectifs signataires : ADDES – CJDES – CNCRESS – L’ESPER – MES – RIUESS – UDES