L’équipe de « Charlie Hebdo » fête son nouveau statut d’entreprise solidaire

C’est une jolie photo de groupe, sinon de famille, autour d’un petit cadre en bois. À l’intérieur de ce cadre, une annonce parue le 24 juin dans La Gazette du Palais, selon laquelle les associés des Éditions Rotative – la maison mère de Charlie Hebdo« ont décidé d’adopter la forme statutaire d’entreprise solidaire de presse ».

 

Ce mardi 21 juillet, la ministre de la culture, Fleur Pellerin, avait réuni la rédaction de Charlie pour fêter l’événement : le titre satirique, meurtri par l’attentat du 7 janvier, est le premier à choisir ce nouveau statut, créé par la loi du 17 avril 2015. « Vous êtes des pionniers », a lancé la ministre, un verre à la main.

Inspiré de l’économie sociale et solidaire, ce statut impose de réinvestir au moins 70 % des bénéfices dans l’entreprise, et réserve aux collaborateurs du titre le droit de détenir des actions.

Aux yeux du ministère, la création de ce statut vient compléter le récent « amendement Charb », qui permet à tout citoyen de bénéficier d’une réduction d’impôts pour un investissement dans un titre de presse, jusqu’à 2 000 euros.

Emblème d’un nouveau financement de la presse

Adopté cet hiver, cet amendement a été l’aboutissement d’un combat mené par le défunt directeur de la publication. Avec le fonds Presse et pluralisme, qui permet de faire des dons défiscalisés, et la réforme des aides à la presse, élargissant les aides aux journaux à faibles ressources publicitaires aux périodiques autres que les quotidiens, ces mesures composent un ensemble pensé pour conforter les titres les plus fragiles, et donc le pluralisme.

Voilà donc Charlie érigé en emblème de ces nouveaux modes de financement de la presse, dans un salon de la rue de Valois. Décalé ? « Non », assume Marika Bret, la directrice des ressources humaines. « Charlie a connu de nombreuses crises économiques au fil de son existence » et la réflexion sur son modèle ne l’a jamais quitté. « C’est, pour une fois, un symbole que je reconnais », sourit l’ancienne amie de Charb.

En 2015, ce sont même 100 % des bénéfices qui seront réinvestis. Car c’est une année hors norme, avec 10 à 15 millions d’euros d’excédent prévu, et actuellement 100 000 exemplaires vendus et 210 000 abonnés.

Tensions ces derniers mois

Pour l’équipe de Charlie, l’adoption de ce statut vient apaiser une situation marquée ces derniers mois par des tensions autour de la gouvernance du journal. Cela « devrait rassurer certains collaborateurs sur l’utilisation des fonds et des dividendes », a déclaré Riss, principal actionnaire et directeur de la publication.

Les dissensions étaient apparues publiquement en mars, quand une partie de l’équipe reprochait à la direction son manque de transparence et plaidait pour une « refondation » du titre, sous forme de coopérative. Ceux-ci n’ont pas eu gain de cause.

Mais « la question de l’actionnariat reste ouverte », glisse le journaliste Laurent Léger, tout en « applaudissant plutôt dix fois qu’une » à ce nouveau statut. Une question que Riss se dit prêt à aborder « en septembre, après la nouvelle formule du journal », sans concevoir un actionnariat qui aille au-delà de « cinq ou six personnes ». Le journal est actuellement détenu à 70 % par Riss et 30 % par le directeur financier, Eric Portheault, qui ont ensemble racheté les 40 % que détenait la famille de Charb.

On sent que ces questions ont pris trop de place ces derniers mois. « Faire le journal » reste le défi hebdomadaire revendiqué par cette équipe. Les chantiers demeurent colossaux : trouver une nouvelle génération de dessinateurs, relancer le projet de fondation dédiée au dessin de presse, emménager en octobre dans de nouveaux locaux… En revanche, c’est un comité de personnalités indépendantes qui va définir comment répartir, parmi les familles des victimes, les plus de 4 millions d’euros de dons reçus. Une charge en moins sur les épaules.

Source : LeMonde.fr