Pour « une gouvernance mixte ou hybride des entreprises »

    Dans un article du Monde (« La finalité humaine et écologique de l’économie doitdéterminer les politiques et les réformes », 11 mai 2016), Philippe Vadjoux propose, pour contrer les méfaits du capitalisme ultralibéral, de développer une« économie hybride, dans laquelle l’entreprise solidaire viendrait concurrencerl’entreprise traditionnelle ».

C’est évidemment une orientation essentielle, qui peut casser la logique du profit à court terme actuellement dominante. Mais est-ce la seule ? L’économie sociale et solidaire est encore relativement peu développée, et seulement dans certains secteurs (services à la personne, etc.).

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Si l’on attend qu’elle gagne les domaines qui font actuellement le plus de dégâts écologiques et sociaux – notamment les secteurs de la production industrielle et du grand commerce – on risque de laisser perdurer des situations hautement dommageables pour l’avenir du monde.
C’est pourquoi il faut aussi agir sur la gouvernance des entreprises traditionnelles.

Capital humain

Actuellement elle est assurée – sauf dans quelques pays comme l’Allemagne pratiquant la cogestion – par les actionnaires seuls. La propriété financière de l’entreprise est considérée comme l’unique fondement du pouvoir gestionnaire. D’où les dérives maintes fois dénoncées : gestion à court-terme, rémunérations aberrantes des dirigeants, licenciements abusifs, non prise en compte des externalités, etc.

Les évolutions actuelles montrent que désormais la propriété n’est plus qu’une composante de la réalité de l’entreprise. Le capital humain, dans une économie reposant sur des technologies  de plus en plus sophistiquées, compte autant que le capital financier.

UNE ENTREPRISE APPARTIENT AUSSI AUX CONSOMMATEURS (…). IL SERAIT LOGIQUE QU’ILS SOIENT EUX AUSSI PRÉSENTS DANS LES CONSEILS D’ADMINISTRATION

Les salariés sont souvent plus conscients des coûts externes de la production, parce qu’ils vivent celle-ci au plus près, contrairement aux actionnaires. Ils sont plus clairvoyants sur les intérêts à long terme. Quant à la prise de risque, qui a longtemps servi à justifier le pouvoir des actionnaires, elle est au moins aussi importante pour ceux qui engagent dans une entreprise plusieurs années de leur vie que pour les financeurs qui n’y engagent que leur argent. Il serait donc normal qu’ils soient représentés au conseil d’administration au même titre que les actionnaires.

Une entreprise appartient aussi aux consommateurs

Pareillement, une entreprise appartient aussi aux consommateurs qui subissent les conséquences des choix opérés par les gestionnaires et participent aux risques qu’ils impliquent, comme le montre l’affaire Volkswagen après bien d’autres. Il serait logique qu’ils soient eux aussi présents dans les conseils d’administration.

Des entreprises gouvernées par des conseils composés de tous les acteurs du secteur – investisseurs, mais aussi salariés et consommateurs – seraient plus soucieuses de tous les aspects de l’activité économique : rentabilité, mais aussi équité et durabilité des choix. Cette gouvernance mixte ou hybride introduirait de la solidarité dans le secteur marchand, sans attendre qu’il évolue vers l’économie sociale et solidaire.

Elle exprimerait le caractère composite des entreprises modernes, qui ne dépendent plus des seules initiatives de leurs actionnaires, mais aussi de l’engagement des salariés, de l’intérêt des consommateurs et de l’acceptation de ceux dont elles affectent les modes de vie. Elle ferait évoluer le capitalisme financier vers un « capitalisme coopératif » qui ne nierait pas l’importance du capital dans l’activité économique, mais reconnaîtrait la diversité de ses formes.

François Galichet est l’auteur de « L’émancipation. Se libérer des dominations » (Chronique Sociale, 2014).

François Galichet (Professeur émérite à l’université de Strasbourg)

Source : Lemonde.fr