Chômage longue durée : et si l’ESS était la solution ?

Dans la nuit de mercredi à jeudi, le Sénat a adopté la proposition de loi visant à expérimenter les territoires « zéro chômeur de longue durée ». Une dizaine de communes sont concernées. Objectif : offrir aux chômeurs de plus d’un an un CDI dans une entreprise de l’économie sociale et solidaire (ESS) pour répondre aux besoins locaux. En France, 2,5 millions de personnes sont inscrites à Pôle emploi depuis plus de douze mois.

 

A Pipriac, petite commune d’à peine 3 500 habitants proche de Rennes, le vote de cette loi était très attendu. Depuis 2008, elle se prépare à lancer l’expérimentation « zéro chômeur de longue durée ». Marcel Bouvier, maire sans étiquette nouvellement élu, est alors contacté par ATD Quart Monde. Le projet de l’association ? Proposer un CDI payé au SMIC aux chômeurs de longue durée, pour répondre à des besoins sociaux non pourvus sur le territoire. Et sans que cela ne coûte un centime de plus à l’État, grâce aux transferts de coûts (RSA, contrats aidés, formation…).

Marcel Bouvier n’hésite pas. La petite commune bretonne subit en effet de plein fouet la crise automobile et les différents plans sociaux du constructeur PSA de Rennes, qui impactent les sous-traitants de la région. Avec 150 chômeurs de longue durée, le maire décide de tenter le tout pour le tout. « Le sujet est trop grave. S’il y a une chance pour que ça fonctionne, il faut y aller, sans aucun doute. »

100 équivalents temps plein

La commune lance donc une phase de mobilisation pour expliquer le projet. « Sans bienveillance, ça ne peut pas marcher », témoigne Denis Prost, salarié d’ATD Quart Monde et responsable du projet sur place depuis 2014. Il faut rencontrer les demandeurs d’emploi de longue durée et évaluer leurs compétences, leurs envies, leurs besoins. Puis rechercher les travaux utiles sur le territoire, trouver de nouveaux marchés et convaincre la future clientèle. « Selon notre dernière évaluation, qui date de juin, explique Denis Prost, il existe sur notre territoire 100 emplois équivalents temps plein. Cela correspond à environ 120 demandeurs d’emploi, car tous ne souhaitent pas être à temps plein. »

Parmi les activités repérées, la mise en place d’un service de transport entre Pipriac et la ville la plus proche, l’entretien des rivières et des marais ou encore le tri des cartons pour les entreprises ayant de petits volumes. Mais aussi des services à la personne, qui viennent compléter les aides à domicile classiques, pour couper du bois par exemple, jardiner, cuisiner, se promener.

Pour embaucher ces profils extrêmement polyvalents, le territoire va créer une entreprise de l’économie sociale et solidaire (ESS). Son directeur vient d’être recruté et va se plonger dans le business plan. Le défi : réussir à dégager un chiffre d’affaires suffisant pour venir compléter l’apport des fonds publics. « Mais il s’agit aussi de créer une culture d’entreprise inclusive. C’est la clé de la pérennité, précise Denis Prost. La dimension participative est essentielle, c’est d’ailleurs l’une des valeurs de l’ESS. » L’ouverture de l’entreprise est espérée à l’automne prochain.

Jusqu’à 2 000 chômeurs visés

Comme Pipriac, neuf autres territoires volontaires vont mener une telle expérimentation pendant cinq ans. Parmi eux, Grand Mauléon (Deux-Sèvres), Prémery (Nièvre), Colombey-les-Belles (Meurthe-et-Moselle) et Jouques, près d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), ont déjà planché sur la question. Jusqu’à 2 000 chômeurs de plus d’un an seront concernés. Et une évaluation interviendra au bout de la troisième année, avant une généralisation à tous les territoires si le bilan est concluant.

L’expérimentation des territoires zéro chômage de longue durée a été proposée par le député socialiste de la Côte d’Or, Laurent Grandguillaume, inspiré par ATD Quart Monde. Elle a été adoptée à l’unanimité par les députés le 9 décembre. Et hier soir, les sénateurs l’ont approuvé à la quasi-unanimité, après l’avoir modifié à la marge. Ils ont notamment transformé son intitulé en « proposition de loi d’expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée ». Ils ont aussi ouvert le dispositif à tous les demandeurs d’emploi quel que soit le motif de rupture de leur dernier contrat de travail et précisé que l’évaluation de l’expérimentation doit être assurée par un organisme indépendant. Le texte va désormais faire l’objet d’une commission mixe paritaire.

Un coût compensé

Un fonds d’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée va être créé pour amorcer le projet. Il permettra de signer les conventions entre les salariés embauchés et les entreprises de l’économie sociale et solidaire. Et il servira de fonds de roulement pour démarrer. Car l’objectif est bel et bien qu’il n’y ait pas de coût supplémentaire pour les finances publiques. Selon ATD Quart Monde, un chômeur de plus d’un an coûte de 15 à 20 000 euros par an à l’Etat. Une somme qui inclut les dépenses publiques directes et indirectes (maladie, délinquance, etc.) mais aussi le coût du manque à gagner (perte de TVA liée à la faible consommation de ces populations par exemple). A terme, l’idée est donc de réaffecter ces dépenses au paiement des salaires, ces emplois générant à leur tour quelques recettes (impôts, cotisations sociales…).

Dans un premier temps cependant, seul l’Etat et quelques collectivités volontaires abonderont ce fonds. « L’Etat pourra consentir un effort exceptionnel », avait annoncé Myriam El Khomri, ministre du Travail, lors du vote à l’Assemblée.

Miser sur les entreprises d’insertion

Outre la lutte contre le chômage de longue durée, cette mesure permet de mettre en lumière les entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS), un peu oubliées depuis l’adoption de la loi régulant le secteur en juillet 2014 et leur grande médiatisation à cette époque. Mais sont-elles mieux armées que les entreprises classiques pour accueillir ces profils ? Selon Jean-Philippe Teboul, directeur du cabinet de recrutement Orientation durable, spécialisé dans l’ESS, pas vraiment. « Recruter est une chose, mais intégrer en est une autre. A part les entreprises d’insertion dont c’est le cœur de métier et le modèle même de développement, les autres entreprises du secteur ne sont pas mieux équipées par rapport au privé classique. Au lieu de brandir le terme générique d’ESS, il serait plus pertinent de valoriser l’insertion. »

Un secteur qui connaît un succès grandissant. « Récemment, nous avons reçu un label pour un projet de R&D, raconte Idriss Bennani, le co-fondateur de Rézo social, une entreprise d’insertion par l’informatique. Parmi l’un des salariés qui a travaillé dessus, il y avait un chômeur de longue durée qui venait de l’Armée du salut. Nous prouvons que ça marche et que les personnes relevant de l’exclusion ont un cerveau qui fonctionne, Mais cela demande des moyens et notamment l’appui de travailleurs sociaux. »

Rassurer les entreprises classiques

Une critique que nuance Denis Prost d’ATD Quart Monde : « Il faudra s’adapter en fonction des profils. Mais le but n’est pas de s’inscrire dans une logique d’insertion mais bien d’emploi pérenne. Nous sommes donc complémentaires par rapport aux structures de l’insertion. »

Reste enfin un dernier obstacle à surmonter : rassurer les entreprises classiques, qui craignent une concurrence déloyale. A Pipriac, de nombreuses rencontres ont été organisées entre les chômeurs et les entreprises du coin pour rassurer de part et d’autre. Et répéter qu’il s’agit bien de créer du travail en plus à travers des emplois non solvables (qui coûtent plus cher que ce qu’ils ne rapportent) qui n’entrent pas en concurrence avec les activités économiques exercées sur le territoire. Résultat : deux mondes qui se croisaient peu se sont rapprochés et portent l’un sur l’autre un nouveau regard.

Concepcion Alvarez

Source : Novethic.fr