Valeurs, statuts, pratiques… La dynamique du « et »
L’ESS que nous aimons n’est pas d’abord une définition ou un article de loi. Elle est un processus, une dynamique, une tension entre trois points : des valeurs, des statuts et des pratiques.
Nous reproduisons ci-dessous l’édito d’Hugues Sibille, président du Labo de l’ESS. Son propos conforte et enrichit le projet de l’Udess 05, de sa création à son positionnement en faveur d’une ESS qui ne se contente pas d’afficher ses valeurs.
Parce que l’ESS est humaine et vivante, l’équilibre entre ces trois points n’est jamais définitivement acquis. En ce sens l’ESS n’est ni le paradis alternatif définitif ni le communisme que croient certains. Elle doit être remise chaque jour sur le métier valeurs-statuts-pratiques pour tendre vers une utopie réaliste. Sa noblesse est d’être un chemin de crête escarpé sur lequel on avance joyeusement en évitant d’un côté la banalisation par abandon des valeurs et du projet utopique, de l’autre la disparition par absence de prise en compte des contraintes de la réalité.
Les valeurs sont essentielles car elles sont la boussole sur le chemin. L’ESS n’est pas qu’une juxtaposition d’expériences : elle doit être un Projet de transformation, un Récit d’avenir. Toute entreprise de l’ESS devrait régulièrement « re-convoquer le projet ». Deux valeurs sont cardinales sur le chemin de crête : la démocratisation de l’économie mettant chacun en situation de délibérer et de participer à la décision, la solidarité qui résiste aux inégalités, crée du lien social et de la fraternité.
Mais affirmer des valeurs ne suffit pas : il faut les inscrire dans des statuts et les incarner par des pratiques avérées et démontrables. L’ESS est aussi un « état de droit », celui des personnes et non du capital, celui d’une régulation et non d’une jungle économique. Longtemps l’économie sociale n’a mis en avant que ses statuts de groupement de personnes (association, coopérative, mutuelle), ne se préoccupant guère de ses pratiques. Cela a conduit les entrepreneurs sociaux à populariser le slogan : « statut n’est pas vertu ». Ils ont eu raison. Mais on doit leur opposer qu’absence de statut n’est pas non plus gage de vertu ! Le développement actuel d’une économie collaborative capitaliste le démontre : Le mot collaboratif peut incarner un trompe-l’œil numérique, si la finalité s’avère en fait le profit et la gouvernance statutaire, celle du capital.
En ce sens, le Guide d’amélioration des pratiques ESS que vient d’adopter le Conseil Supérieur de l’ESS est une petite révolution car il doit permettre de sortir de l’opposition entre les Anciens, gardiens des statuts et les Modernes, défenseurs des bonnes pratiques. Le Labo de l’ESS salue cet excellent travail et entend être un acteur de sa popularisation et de sa mise en œuvre.
Mais il reste des chantiers considérables à poursuivre pour actualiser et faire évoluer le triptyque valeurs-statuts-pratiques de l’ESS. J’en cite trois : la démocratie délibérative, le multi-sociétariat, l’évaluation des impacts sociaux.
La démocratie délibérative d’abord : alors que la démocratie politique élective est en crise grave, l’ESS reste calée sur ce modèle du XIXème siècle. « Une personne, une voix », circulez, il n’y aurait rien à voir. Si justement, il y a à voir. Les Assemblées Générales, où l’on adopte des résolutions sans débat et où l’on fait mine d’élire des dirigeants qu’on ne connaît pas, ne tiendra pas bien longtemps. Il faut certes garder des principes électifs, mais leur adjoindre des valeurs et des pratiques de délibération. Autant que d’adopter des comptes en AG, il s’agit de délibérer sur l’évolution du monde qui nous entoure et les réponses que nous entendons lui apporter.
Le multi-sociétariat ensuite. L’économie sociale s’est construite politiquement et juridiquement sur un mono-sociétariat : tout le pouvoir aux salariés, ou tout le pouvoir aux clients-consommateurs, ou tout le pouvoir aux agriculteurs, etc. Or, nous sommes entrés dans la société du dialogue entre parties prenantes, des alliances, du partenariat, de la co-construction. Le droit et les pratiques de l’ESS devraient vite évoluer en la matière. Belle occasion de se démarquer des entreprises de capitaux, dans lesquelles, malgré un discours sur les « stake-holders », tout le pouvoir statutaire reste aux « share-holder » au prorata du capital. Le statut de coopérative d’intérêt collectif (Scic) est une première belle avancée. On peut sûrement aller plus loin. Quel sens aura une Coopérative agricole qui n’associe pas les consommateurs, le territoire, les défenseurs de l’environnement ? Quel sens aura une association sanitaire et sociale dans laquelle les salariés ne sont pas présents dans la gouvernance ? Inventons vite des statuts et des pratiques de la société de « co-construction ».
Enfin, l’évaluation de l’impact (démocratique, social, écologique, collectif…). Il faut rendre compte des effets des valeurs, statuts et pratiques pour démontrer que la « promesse ESS est tenue ». Le guide des bonnes pratiques va dans ce sens. Amplifions le mouvement. Travaillons sur des référentiels simples et surtout co-construits qui permettent de mesurer les effets du changement sociétal que nous appelons de nos vœux. Ce point rejoint les deux précédents : l’innovation démocratique peut produire des effets ? Lesquels ? Travailler ensemble dans un Pôle territorial de coopération économique produit un impact collectif. Lequel ?
Conclusion : passons du « ou » au « et », cher à Edgard Morin. N’ayons plus à choisir entre statuts ou pratiques. Tout se joue dans la dynamique du « et ».
Hugues Sibille, Président du Labo de l’ESS
22 septembre 2016
Un guide des bonnes pratiques pour les entreprises de l’ESS
Le Guide des bonnes pratiques pour mieux valoriser les entreprises de l’ESS