Comment l’ESS doit profiter du numérique

La dynamique créée autour des plateformes numériques de l’économie collaborative incite les acteurs de l’économie sociale et solidaire à s’intégrer dans cette tendance, sans pour autant renier leurs valeurs.

 

Un article de Mathias Thépot publié le 4 mars 2016 sur le site de LA TRIBUNE

 

De nombreuses plateformes numériques proposent d’améliorer le service client et mettent en avant des notions d’intérêt général pour définir leur activité. Mais bon nombre de ces plateformes, dont on dit qu’elles font partie de l’économie collaborative – les plus connues sont Airbnb, Uber, Le Bon Coin, BlaBlacar etc. -, ne s’appliquent pas les principes qui les érigeraient en alternative crédible à l’économie marchande capitaliste.

En effet, si incontestablement elles portent des innovations, ces plateformes, qui ont parfaitement compris l’apport de l’outil numérique pour améliorer le service client, ne modifient pas les modes de répartition des richesses créées au niveau de l’entreprise.

Sur le fond, « l’économie collaborative ne change pas la donne actuelle », constate Patrick Lenancker, président de la confédération générale des Société coopératives et participatives (Les Scop).

 

Nouvelle forme de capitalisme financier

Les plateformes numériques constitueraient même une nouvelle forme de capitalisme financier. Or, « si l’économie du futur est une économie où, certes les gens collaborent entre eux, mais où la concentration des moyens financiers et des décisions se fait entre quelques-uns, alors cela ne change rien aux règles de l’économie actuelle. Et c’est inquiétant », note Patrick Lenancker.

Car au regard des causes de la crise financière de 2008, « on ne peut plus collectivement prospérer dans une économie de marché uniquement basée sur la rémunération du capital, et l’investissement rentable », ajoute-t-il.

A l’inverse, les Scop font partie d’un secteur, celui de l’économie sociale et solidaire (ESS) dont les entreprises, d’une part, recherchent une finalité sociale, éducative ou environnementale dans leur activité ; et d’autre part s’imposent théoriquement des principes de gouvernance démocratique, de réinvestissement des bénéfices dans l’entreprise, de lucrativité limitée, et d’écarts de salaires faibles. 

Ainsi l’économie sociale se positionne dans un cadre économique différent de celui de l’économie collaborative.

 

L’ESS, une alternative ?

Pourtant rien n’empêche l’ESS, qui revendique 10 % du PIB français, de se proposer en alternative au développement des plateformes numériques – comme elle l’a fait par le passé avec l’économie capitaliste classique.

Au contraire l’ESS ne peut rester immobile face aux dérives des plateformes de l’économie collaborative.

D’autant que le développement de ces plateformes induit « un phénomène de fragilisation des personnes qui travaillent pour ces entreprises, et dont le statut ne donne pas forcément droit à une protection sociale adéquate », note Patrick Lenancker. Or, « on ne peut pas ignorer les salariés. L’humain n’est pas une donnée passéiste, mais moderne ! La valeur travail, via le projet collectif et la finalité sociale de l’activité de l’entreprise, revêt toujours une importance essentielle en terme d’épanouissement pour les salariés », ajoute-t-il.

 

Une économie inclusive

Désormais « on a besoin que l’économie soit davantage inclusive qu’exclusive. Le problème de notre société est qu’elle repose sur le modèle unique d’une économie où se concentrent les richesses par sa financiarisation », regrette-t-il.

Aussi tout ce qui permet d’alimenter la diversité des modèles est bon à prendre. L’ESS compte donc s’atteler à intégrer les mutations de la société. Ce qu’elle a déjà fait par le passé en développant par exemple des services à domicile peu chers, qui ont constitué une réponse à l’évolution démographique de la société afin que les personnes âgées puissent vieillir plus longtemps chez elles.

Plus récemment, des initiatives d’entreprises de l’ESS utilisant l’outil numérique en matière d’éducation populaire, de citoyenneté sur les territoires, de consommation douce, de monnaies locales ou de transparence de l’information ont même montré leur efficacité.

Un mariage entre l’ESS et le numérique est donc possible.

 

Répondre aux besoins

« Une fois réapproprié, le numérique est pour ces mêmes acteurs une formidable occasion d’inventer de nouvelles pratiques transformatrices et de nouer les partenariats publics-citoyens de demain. Il importe alors que les acteurs de l’ESS s’en emparent pour ce qui existe au confluent entre les valeurs portées par l’ESS et les services techniques et comportementaux qui accompagnent le numérique », expliquait il y a un peu moins de deux ans dans une tribune toujours d’actualité Valérie Peugeot, alors vice-présidente du Conseil national du numérique.

Le virage vers l’économie du numérique étant déjà profondément en marche, l’enjeu pour les structures de l’ESS est donc de comprendre les besoins des consommateurs et des producteurs, comme l’ont fait – et le font encore –  les entrepreneurs de l’économie collaborative.

Certes « la force du marché est de répondre aux besoins rapidement. Et il est vrai que ce n’est pas notre sport favori dans l’ESS car nous n’avons pas le même appât du gain », concède Patrick Lenancker. Cependant, il ajoute, optimiste, que « par la participation citoyenne, grâce à des modèles associatifs, mutualistes ou coopératifs, nous pourrons répondre aux besoins de tous  ».

Source : LA TRIBUNE

 

A lire, sur le même thème,

> la tribune de Martine Pinville, secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire
parue le 1er mars 2016 sur le site de l’Humanité

Pourquoi l’économie collaborative doit s’inspirer davantage de l’économie sociale et solidaire

>l’article paru le 8 mars 2016 sur le site Localtis.info 

Le député Pascal Terrasse revient sur son idée d’expérimenter des « territoires de l’économie collaborative »