L’économie sociale s’adresse à tous les citoyens et pas uniquement à quelques groupes vulnérables

Rania Antonopoulos, ministre grecque du travail et de la solidarité sociale, a répondu aux questions du Fil Cides à l’occasion de sa présence à Paris, lors de la conférence Scale me up. Une loi permettant d’élargir et mieux encadrer le développement de l’économie sociale devrait être votée en juillet en Grèce.

Dans le contexte grec, quels sont les leviers pour développer une politique de l’ESS ?

Pour notre gouvernement et le Premier ministre, Alexis Tsipras, le développement de l’économie sociale est une priorité qui relève d’une politique transversale. Mon rôle de ministre dont le portefeuille intègre l’économie sociale, est non seulement d’offrir et mettre en œuvre un cadre qui exprime cette priorité du gouvernement, mais aussi d’y  travailler avec tous les ministères concernés. L’économie sociale ne se résume pas à une troisième voix qui ne toucherait que quelques-uns ou quelques groupes vulnérables pour lesquels il serait compliqué de trouver un emploi dans l’économie de marché. C’est un secteur de l’économie qui s’adresse à tous les citoyens et qui doit se consacrer à la production de tout type de produits et de services.

Une loi a été votée en 2011. Souhaitez-vous la modifier ou aller plus loin ?

Elle a été un très bon pas afin de donner de la visibilité. Néanmoins, il y a des améliorations à apporter car l’économie sociale a mûri. C’est pourquoi un projet de loi est actuellement soumis à une large consultation publique et devrait arriver devant le parlement en juillet. Trois situations permettent d’illustrer le contexte actuel…

La première est que la loi de 2011 ne permettait qu’une seule forme d’association possible1. Or, on peut avoir toute sorte de coopérative, des coopératives de consommateurs, d’utilisateurs, des coopératives urbaines, rurales, qui se retrouvent toutes autour de la motivation de ne pas faire du profit l’objectif ultime, mais au contraire, qu’elle appartienne à l’ensemble de ses membres. C’est un problème qui a suscité beaucoup de problèmes et d’erreur, suite à la la loi de 2011.

Deuxièmement, en Grèce, il n’y a pas de coopérative de salariés en tant qu’entité juridique. C’est un problème, tout particulièrement lorsque l’on pense au rachat des entreprises par leurs employés, lorsque l’on pense à toutes ces initiatives qui apparaissent et qui pourraient se développer grâce aux coopératives de salariés. Il y a également des entreprises qui sont en faillite, avec les salariés au chômage,  alors même que 60 % des créanciers seraient d’accord pour gérer ces sociétés …

Troisièmement,  la loi n’envisageait pas la création permettant de représenter les organisations de l’économie sociale. Cela signifie qu’aujourd’hui, n’importe qui peut  constituer une fédération  avec cinq personnes et déclarer  représenter tout le monde. Résultat, il suffit de savoir remplir les dossiers de financement européen pour avoir accès à ces fonds. Il faut donc établir une réglementation dans le cas où dix initiatives différentes voudraient s’organiser au sein d’une fédération de l’ESS… Cela permettrait d’organiser la représentation de l’économie sociale dans les 13 régions par exemple.

Ce nouveau cadre légal  vise donc, notamment, à limiter les effets d’aubaines ?

Tout à fait. L’économie sociale et solidaire n’est pas un espace qui doit être contrôlé et guidé par l’Etat. Il faut que nous mettions en place un cadre législatif adapté afin de de répondre aux attentes et aux besoins, mais il ne s’agit certainement pas de créer une dépendance vis-à-vis de l’Etat parce qu’il en serait le financeur. Lorsqu’on construit un secteur de cette façon, que ce soit pour l’économie sociale, le secteur privé lucratif ou n’importe quelle activité économique, on développe alors une relation de clientélisme. Dès lors que l’Etat cesse de subventionner, l’entreprise meurt.

Il y a aussi la nécessité de créer des fonds de financement pour l’économie sociale en posant les règles de qui les gère, qui prend les décisions,  quel est le rôle des initiatives sociales qui existeraient au sein de ce fonds de financement ? En résumé,  si la loi de 2011 était bonne au départ, nous avons besoin de l’aménager et de l’améliorer.

La Grèce a été un pionnier dans le développement des coopératives sociales, notamment sur le champ de la santé mentale. Et avec la crise, le concept de clinique ou de pharmacie social s’est aussi développé.  L’économie social peut elle contribuer à reconstruire le système de santé en Grèce ?

La santé est un service public qui repose sur un contrat entre l’Etat et les citoyens. Si ce contrat n’est pas rempli, dire que c’est le secteur privé ou l’ESS qui doit s’en charger n’est pas une bonne réponse. Les cliniques et les pharmacies sociales se sont organisées sous l’impulsion de citoyens afin d’offrir des services de santé accessibles. Mais à l’origine, elles s’adressaient aux immigrés illégaux. Avec la crise, les citoyens grecs et résidents légaux se sont rendus dans ces lieux et constituent aujourd’hui 90 % des usagers. Mais lorsque je parle avec ceux qui ont créé ces centres, ils me disent qu’ils espèrent qu’on n’en aura plus besoin. Il faut vraiment se poser la question de comment ces médecins assurent le service. Ce n’est pas une petite activité, il y a besoin de matériel, il faut les compétences en chirurgie. Ces services ne peuvent être délégués à long terme à des initiatives solidaires. Pour notre gouvernement, le secteur social n’est pas là pour remplir les manques et les absences que le secteur privé n’apporterait pas aux gens parce qu’ils n’auraient pas les revenus, ou parce que l’Etat n’aurait pas suffisamment de moyen. L’économie sociale est une façon de s’associer qui fonctionne sur des principes divers dont la solidarité, la qualité et dont le but lucratif n’est pas ce qui réunit les gens. Il s’agit d’avoir une vie décente, de gagner suffisamment sa vie, d’avoir des conditions de travail qu’ils décident en semble plutôt que d’être imposées.

J’ai demandé à une coopérative de 29 femmes qui prépare des repas et les vendent à bas prix pourquoi elles n’ouvraient pas plus longtemps leur magasin. Elles m’ont répondu : « parce que nous ne voulons pas passer toute notre journée à cuisiner, faire la comptabilité et servir. On a envie d’autres choses aussi. Quand je leur ai parlé de la division du travail, elles m’ont répondu qu’elles savaient toutes tout faire. » Alors je leur dit, mais ne seriez-vous pas plus efficaces en vous répartissant le travail ? Elles m’ont répondu, « non ce serait très ennuyeux… » Pour nous l’économie sociale c’est d’abord un moyen alternatif de s’associer. Ces 29 femmes produisent et gagnent leur vie à un niveau qui est celui qu’elles ont décidé… Elles ne cherchent pas à développer un réseau de franchise…

Vous semblez développer une vision de l’ESS qui diverge un peu du discours ambiant de l’UE qui se polarise sur la réponse à des besoins pas ou mal satisfaits par la puissance publique ou le marché…

Je ne crois pas que ce soit contradictoire. Il y a des espaces qui ne sont pas couverts effectivement. Par exemple, il existe des systèmes de recyclage, mis en place par des initiatives relevant de l’économie sociale. Ce n’est ni le secteur privé, ni le secteur public qui ont envisagé de développer le compost des déchets organiques.  Les entreprises privées ne se sont pas impliqué là-dessus pour des raisons qui leur sont propres. Et nous, en tant qu’Etat, nous devons soutenir ces initiatives. Mais il y a aussi des entreprises qui fabriquent des biens courants en suivant les principes de l’économie sociale. Leur objectif, par exemple, n’est pas de maximiser le profit mais de maximiser la force de travail mobilisée parce qu’elles sont dans une région où le chômage est très important. Ces entreprises ne remplissent pas un vide et pourtant, c’est aussi de l’économie sociale.

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  1. La loi 4019 de 2011 concernait quasi exclusivement les coopératives sociales (insertion) ou coopératives de soin.

Source : www.chorum-cides.fr