« L’économie sociale et solidaire, ce n’est pas Uber ! »

Perçue comme un modèle d’avenir par les Français, l’économie sociale et solidaire (ESS) souffre d’un manque de notoriété et de reconnaissance. Pour Michel Abhervé, professeur spécialiste de l’ESS à l’université de Paris Est Marne-la-Vallée, « les acteurs de l’économie sociale et solidaire doivent faire entendre leurs spécificités ». Rencontre.

Un sondage réalisé par Harmonie mutuelle et l’Institut Viavoice dans le cadre du mois de l’économie sociale et solidaire (ESS) montre que les Français ont une vision très positive de l’ESS, perçue comme un modèle économique alternatif. Pourtant, 80% des sondés disent se sentir insuffisamment informés sur l’ESS. Ce chiffre vous surprend ?

Michel Abhervé – Non. L’ESS souffre d’un manque de notoriété et de reconnaissance par les pouvoirs publics. Et d’un amalgame fréquent avec les entreprises qui relèvent de l’économie collaborative. Certains voudraient faire croire que c’est très proche, alors que l’économie sociale et solidaire, ce n’est pas Uber ! La technique employée peut être la même mais le modèle économique n’a rien à voir et la répartition des bénéfices non plus. Chez Uber, les bénéfices ne sont pas partagés et il n’existe pas de protection sociale pour les chauffeurs qui doivent assumer seuls les risques professionnels. A l’inverse, l’ESS apporte des réponses conciliant organisation démocratique et création d’un bien commun, dans l’intérêt général.

Comment remédier à cette méconnaissance de l’ESS ?

Michel Abhervé – Les acteurs de l’économie sociale et solidaire doivent faire entendre leurs spécificités. Ils ne s’expriment pas suffisamment, alors qu’ils devraient monter systématiquement au créneau quand le terme « économie sociale et solidaire » est utilisé abusivement ou de façon à prêter à confusion. Autre axe à privilégier : un travail d’intégration et d’explication au niveau éducatif. A de rares exceptions près, les seuls modèles d’entreprise dont on parle dans les manuels scolaires sont les sociétés de capitaux. Il faut mieux faire connaître la diversité des modes d’entreprendre, et ce dès le collège.

Quelles ont, selon vous, été les avancées apportées par la loi ESS du 31 juillet 2014 ?

Michel Abhervé – La loi a permis la reconnaissance de l’ensemble du secteur et il existe désormais un quasi-consensus sur l’appellation et sur le champ de l’économie sociale et solidaire en France. Ce qui manque, ce sont des outils communs aux différentes familles de l’ESS (coopératives, mutuelles, associations…). Dans le domaine juridique ou fiscal, par exemple, les mutuelles et les coopératives ont des services et des outils très développés, mais l’ESS, dans son ensemble, manque d’expertise technique, qui ne lui permet pas de discuter avec les pouvoirs publics et de défendre véritablement ses intérêts.

Quels sont plus spécifiquement les enjeux pour les mutuelles ?

Michel Abhervé – En tant que famille de l’ESS, les mutuelles ont su se faire entendre, non sans difficulté, auprès des pouvoirs publics pour obtenir que la coassurance soit inscrite dans la loi, de façon à être à égalité avec les institutions de prévoyance et les assureurs. Reste la question des nouvelles unions mutualistes, également prévues par la loi. Le ministère a indiqué qu’il attendrait désormais la refonte du Code de la Mutualité pour statuer.
Plus généralement, les mutuelles ont un poids considérable et un rôle majeur à jouer au sein de l’ESS. D’abord parce qu’elles constituent une famille donc elles pèsent en dépit de la complexité de leurs sous-familles (mutuelles santé, mutuelles d’assurance) et parce qu’elles participent activement au développement d’outils communs.

Le Luxembourg, qui assure la présidence de l’Union européenne au deuxième semestre 2015, organise une conférence sur l’économie sociale et solidaire en décembre. Que peut-on en attendre ?

Michel Abhervé – L’Europe constitue un enjeu majeur pour l’ESS, puisqu’on est dans le principe d’une supériorité du droit européen sur le droit français. Le Luxembourg est le seul pays autre que la France à utiliser le terme d’ « économie sociale et solidaire ». Et Nicolas Schmit, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Economie sociale et solidaire du Luxembourg, semble déterminé à inscrire l’ESS au programme de la présidence de son pays.
Mais la reconnaissance de l’ESS au niveau européen est compliquée par les conceptions très différentes de l’économie sociale qui existent dans d’autres pays européens qui préfèrent parler de « social business ». Dans la sphère latine, l’ESS intervient en aiguillon ou en complément de l’action publique, mais dans la sphère anglo-saxonne, elle est indépendante de l’action publique. Cette conférence sera déjà une réussite si elle permet de faire émerger un consensus sur la définition et le champ d’application de l’ESS en Europe.

Les Français plébiscitent l’économie sociale et solidaire

Un sondage réalisé fin septembre par Harmonie mutuelle et Viavoice, dans le cadre du mois de l’économie sociale et solidaire (ESS), révèle que les Français perçoivent l’ESS comme un « modèle économique d’avenir », répondant « aux grands enjeux de notre société ». 88%des personnes sondées associent l’ESS au mot « solidarité ».

Les Français sont également 66% à estimer qu’une « mutuelle, par nature à but non lucratif, est plus attractive qu’un acteur qui recherche des profits ». 45% considèrent que « le label ESS est un critère important dans la décision d’achat ». Et pour 3 Français sur 4, c’est un « modèle dont les principes devraient s’appliquer à toutes les entreprises ».

Perçue comme « dynamique et positive », cette économie souffre toutefois d’un manque de notoriété : « 80 % des Français ont déjà entendu parler de l’ESS » mais ils sont autant à se sentir « insuffisamment » informés et à estimer que « l’ESS devrait être davantage valorisée par les pouvoirs publics ».

Sophie Lecerf

© Agence fédérale d’information mutualiste (Afim)

Source : La mutualité française