La règlementation plonge les mutuelles dans une concurrence exacerbée
Dominique Joseph, secrétaire générale de la Mutualité française, répond au Fil CIDES sur les questions d’actualité : rapprochement des instances représentatives de l’ESS, le grand public et les mutuelles, le projet de loi dépendance, l’innovation sociale, Bercy qui ignore l’ESS…
Fil CIDES : Lors de l’Acte XIII des Gilets jaunes, une devanture de la Maif a été totalement dévastée à Paris à l’instar des banques voisines. La Maif n’est pas dans le giron de la Mutualité Française, mais n’est-ce pas révélateur d’un problème de lisibilité du modèle mutualiste ?
Ces trente dernières années, il y a eu un phénomène de banalisation des mutuelles. Deux raisons à cela. Tout d’abord, le recours à une mutuelle s’est normalisé avec la multiplication des besoins des Français en matière de protection sociale : couverture complémentaire santé, retraite, prévoyance…
Deuxième point. Cette normalisation a stimulé la concurrence venant du secteur lucratif, mais aussi de pôles de protection sociale. L’ANI et la généralisation de la complémentaire santé à tous les salariés ont été un facteur accélérant en changeant les conditions de cette concurrence. La bascule vers l’appel d’offre nous a fait rentrer dans une concurrence exacerbée où les principes de solidarité entre bien-portants et malades, notamment, se sont heurtés à une recherche du plus bas prix qui peut passer, chez certains concurrents, par la sélection des assurés. Enfin, il convient de noter que l’encadrement réglementaire très contraignant nous plonge de plus en plus dans ce champ concurrentiel.
Et, si des devantures ont été cassées, c’est bien parce que, dans le budget d’un ménage, il y a assimilation entre cotisations et prélèvements obligatoires, impôts et cotisations à sa mutuelle, assurance automobile et habitation… Ce sont des dépenses incontournables qui pèsent sur un pouvoir d’achat qui diminue.
Alors comment sortir de la banalisation ?
La campagne « Votre mutuelle est-elle une mutuelle ? » lancée début 2018 a eu un fort succès. C’était une campagne pour que les Français s’interrogent sur leur mutuelle et leur spécificité. On a eu de vrais résultats puisqu’on rappelait les principes de la mutuelle, son histoire, ses valeurs, ses principes : pas de sélection médicale, mutualisation des risques, une mutuelle ce n’est pas un capital à partager puisque nous n’avons pas d’actionnaire…
Et nous continuons à promouvoir leur non-lucrativité, la solidarité, la démocratie qui les incarnent…
Est-ce que l’ESS est une valeur ajoutée dans la stratégie de marque des mutuelles ?
Afficher qu’on est de l’ESS, c’est, d’abord, faire comprendre à nos concitoyens, qu’il y a, même en matière d’assurance auto, maison, santé, une alternative au tout libéral.
C’est le premier levier à actionner au moment où les Français sont très réceptifs à la notion de développement durable… qu’est-ce qui est plus durable que le fonctionnement d’une mutuelle ? On s’y engage à couvrir les risques sur des années.
Nous nous faisons l’écho, aussi, de la volonté des Français de participer davantage aux décisions puisque, dans une mutuelle, ce sont les assurés qui décident de la réponse qu’ils souhaitent apporter à leurs propres attentes.
Alors oui, l’ESS est beaucoup plus qu’un marqueur marketing. Mais pour qu’il soit vraiment efficace, il nous faut aussi gagner la reconnaissance de l’ESS et de ses acteurs par les pouvoirs publics. Et là, il y a un pas à franchir.
Précisément ?
L’ESS est une réalité : environ 10 % du PIB et de l’emploi en France. Malheureusement les entreprises de ce secteur ne sont pas suffisamment prises en compte à Bercy. Il n’y a pas de ministère de l’ESS, mais un Haut-commissaire auprès du ministère de la Transition écologique. C’est une négation de la part des pouvoirs publics d’une vraie place pour l’ESS, dès lors que c’est à Bercy que se décident les grandes orientations économiques.