Application de la loi ESS : point d’étape et point de vue
18 mois après le vote de la loi sur l’ESS, il est temps de faire un point sur sa mise en application, d’autant que beaucoup de décrets sont applicables au 1er Janvier 2016.
Un passage en revue, sous forme d’analyse, proposé par la Cress Bretagne.
La Loi
Il nous faut redire que cette loi, conçue comme une loi-cadre, a pour grande qualité d’avoir été conçue et construite en lien avec les acteurs de l’ESS. Que sa dimension de loi cadre est essentielle, puisqu’elle :
• permet la reconnaissance de l’ESS à travers notamment ses dispositions concernant les politiques publiques (articles sur la stratégie régionale, article sur la conférence régionale de l’ESS) et ses instances de dialogue entre pouvoirs publics et acteurs (Conseil supérieur de l’ESS, mais aussi Conseil supérieur de la coopération et Haut Conseil à la vie associative).
• fixe des définitions et des concepts, depuis l’entreprise d’ESS, mais aussi l’utilité sociale et l’innovation sociale, jusqu’à la subvention publique et au commerce équitable.
• peut inspirer d’autres textes (exemple ordonnance sur les Marchés publics reprenant la définition légale de l’ESS).
Cette reconnaissance de par la loi ouvre la possibilité de faire rentrer l’ESS dans les dispositifs paritaires État / entreprises / partenaires sociaux ; et la possibilité de faire bénéficier l’ESS de dispositifs de financement jusqu’ici réservés à l’économie classique.
Voir présentation de la loi par Michel Abhervé – 24 Septembre 2015
Les textes d’application
La mise en application de la loi peut dans un premier temps, pour ceux qui aiment les indicateurs quantitatifs, se mesure au nombre des textes d’application parus. Si l’on compte seulement les textes les plus importants, 30 sont parus sur 41. Ce qui est important, mais pose problème pour certains, non parus, qui d’une certaine manière « bloquent la machine ». Reprenons donc l’image du verre à moitié plein ou à moitié vide.
Voir Tableau global des textes parus et non parus
Voir « les décrets non parus »
Si l’on regarde du côté du verre à moitié plein, notons l’importance de certains des textes parus :
• Sur les relations entre pouvoirs publics et associations, le dispositif d’application est maintenant complet avec la circulaire Valls et ses annexes qui précise depuis le 29 Septembre la distinction entre subvention et commande publique, qui « réhabilite » la subvention comme outil de partenariat entre pouvoirs publics et associations, précise le cadre français d’application des règles européennes sur les « aides d’Etat » et le cadre de financement d’un « Service d’intérêt économique général » (SIEG).
• Commerce équitable : l’article 94 y est consacré, le décret d’application est paru, la principale nouveauté est d’ouvrir le commerce équitable à un commerce « Nord/Nord »
• ESUS (voir note CNCRES ESUS) : l’entreprise solidaire d’utilité sociale (ESUS) élargit l’ancienne « entreprise solidaire » ; le décret est paru ; mais une entreprise non statutaire ne peut pas encore y prétendre, faute de modalités d’inscription pour l’immatriculation ESS de ces entreprises
• DLA : le dispositif local d’accompagnement, cher aux associations, est sécurisé dans la loi et ouvert aux entreprises d’ESS
• Sociétés « commerciales » : les entreprises non statutaires (ni asso, ni mutuelles, ni coop, ni fondations) ont vu publier le décret relatif à leurs statuts, mais pas encore de texte sur leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés avec la mention « entreprise d’ESS » ; le décret du 1er octobre n’est semble-t-il pas suffisant
• PTCE : le pôle territorial de coopération économique, dispositif issu d’une mobilisation collective de réseaux de l’ESS, est introduit dans la loi, ce qui le sécurise. Mais nous reviendrons ci-dessous sur le côté « verre à moitié vide ».
• Scop « d’amorçage » : la loi crée une possibilité d’attendre 7 ans pour que les salariés disposent de plus de 50% du capital social, ce qui est la règle pour une Scop ; ainsi peut-on parler pour ces sociétés de « Scop d’amorçage »
• CAE : les coopératives d’activités et d’emploi avaient déjà 10 ans, et toujours des difficultés de reconnaissance, notamment au regard du droit du travail ; la loi les institutionnalise, et les sécurise, et notamment crée le statut d’entrepreneur salarié
• SCIC : les sociétés coopératives d’intérêt collectif, créées par la loi de 2002 et permettant le multi-sociétariat, étaient au nombre de 200 au bout de 10 ans ; elles sont au nombre de 400 deux ans plus tard, et 500 aujourd’hui. La loi élargit leur champ et surtout permet aux collectivités ou EPCI d’apporter jusqu’à 50% du capital, au lieu de 20.
• Publication des listes des entreprises par les Cress. Le décret vient de paraître. Une note du CNCRES l’explicite.
Si l’on regarde du côté du verre à moitié vide :
• Sur les 5 rapports devant être remis par le gouvernement aux Parlementaires, à échéance suivant les cas du 31/12/2014 jusqu’au 1er/09/2015, aucun n’est paru. Cet outil des Parlementaires, voté souvent à défaut d’une mesure avec décret d’application, montre ici sa limite.
• Sur la dizaine de textes non parus, il en est des handicapants :
– Immatriculation des entreprises de l’ESS : même si la loi n’a pas prévu explicitement de décret concernant les modalités d’immatriculation des entreprises de l’ESS « non-statutaires », ces modalités manquent (notamment, faute de ces modalités, le décret sur les ESUS ne peut s’appliquer aux entreprises non statutaires, puisqu’une entreprise ne peut être ESUS si elle n’est pas entreprise de l’ESS)
– Fonds européen d’entrepreneuriat social
– Contenu de l’info à destination des salariés en cas de reprise d’entreprise par les salariés ; NDLR : ce décret est paru le 4 janvier ( voir tableau global des textes parus et non parus )
• Deux décrets (+1 en dernière minute) sont parus, qui posent question par rapport à l’esprit de la loi ; nous en avions déjà parlé :
– Le décret sur le schéma de promotion des achats publics socialement responsables (article 13), devenu par la loi sur la transition énergétique « schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables » ; Ce décret rend marginale la mesure.
Voir article CRESS BZh consultation
Voir article décret schéma
Voir lettre Sylvie Robert, sénatrice, à ministre
– Le décret sur les PTCE – pôles territoriaux de coopération économique (article 9)
Ce décret donne un rôle prééminent à l’entreprise classique, et fait des PTCE un dispositif alors qu’ils étaient conçus comme un processus de coopération entre les acteurs socio-économiques d’un territoire pour produire de nouveaux biens et services. Voir le décret PTCE
– Le 28 12 2015, paraît un décret limitant au cas de vente de l’entreprise l’information des salariés, et non plus dans tous les cas de cession ; la loi Macron est passée par là !
Décret info salariés si vente entreprise
Les moyens
Et puis, ne l’oublions pas, la mise en application se mesure aussi à l’aune des moyens alloués à la mise en œuvre de la loi. Alors là, c’est le parent pauvre, très pauvre !
• La mesure essentielle peut être faite à travers les lois de finances : d’abord celle de 2015, dont la préparation se situait dans la foulée de l’adoption de la loi, ne porte pas de trace de moyens d’État pour l’ESS ; par exemple, pas de mesure pour combler définitivement la distorsion de concurrence sur le CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) – le secteur associatif y perd 1 milliard en 2015 ; pas d’effort particulier pour les organisations structurantes de l’ESS, à part un léger coup de pouce pour les Cress.
Voir PLF 2015 et ESS
Ensuite, celle de 2016 n’est pas mieux ; heureusement, un amendement parlementaire à l’initiative de Jean-René Marsac supprime la baisse de budget pour les CRESS, et un amendement du rapporteur de la loi supprime la baisse de budget du DLA. En instance au moment où nous bouclons ces lignes, un amendement au projet de loi de finances, à l’initiative d’associations et de réseaux du médicosocial, introduit une mesure de compensation au CICE pour les associations soumises aux impôts commerciaux, au prorata du chiffre d’affaires commercial ; espérons que cet amendement soit définitivement adopté !
Voir courrier interfédéral
• On peut aussi pointer l’indigence du budget consacré aux PTCE : un appel à projets devait être concrétisé en 2015, pour un budget réduit par rapport à l’avant-loi (2013) ; il est repoussé quant à sa réponse en 2016 !
• Si le service civique s’élargit aux plus de 25 ans, devenant ainsi « l’engagement de service civique et le volontariat associatif » (article 64), il semble qu’aucun moyen ne soit dégagé pour mettre en place ce volontariat associatif des plus de 25 ans.
La structuration
Soyons attentifs maintenant aux aspects structurants de cette loi.
Nous regarderons plus particulièrement la question des politiques publiques de l’ESS. Elles font l’objet de l’article 4 consacré au CSESS, conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire, et des articles 7 et 8 sur les politiques territoriales de l’économie sociale et solidaire, à travers stratégie régionale et conférences régionales.
Sur le CSESS, cette instance de dialogue entre les acteurs et les Pouvoirs publics, sa mise en place récente en remplacement du CSESS de l’avant-loi explique que les productions qu’on attend d’elle ne soient pas prêtes. Nous sommes cependant en attente notamment du « guide des bonnes pratiques » prévu à l’article 3 de la loi. Il doit être un outil privilégié pour une démarche de progrès des organisations et des entreprises.
Concernant les politiques territoriales, alors même que seulement cinq conférences régionales de l’ESS s’étaient tenues, il a fallu batailler pour empêcher que la loi ESS commence à être « détricotée ». Le Sénat a voulu, à l’occasion de l’examen de la loi NOTRe (nouvelle organisation territoriale de la république) supprimer l’article 7 créant les stratégies régionales de l’ESS. Il n’a pas réussi – voir article 2 loi NOTRe.
Il n’a pas réussi, mais les stratégies régionales de l’ESS sont toujours menacées.
Afin d’assurer une cohérence respectant tant l’esprit de la loi que les systèmes institutionnels et la mise en application dans les 6 ans, durée du mandat régional, nous faisons la proposition d’articulation suivante :
- la stratégie régionale de l’ESS est pluriannuelle, à savoir 6 ans, durée du mandat de la Région à l’instar du SRDEII ;
- la 1ère conférence régionale du mandat la valide ;
- dans la foulée, comme le dit l’article 2 de la loi NOTRe, le SRDEII « définit les orientations en matière de développement de l’économie sociale et solidaire, en s’appuyant notamment sur les propositions formulées au cours des conférences régionales de l’économie sociale et solidaire » ;
- tous les 2 ans, la Conférence régionale fait le point et permet l’ajustement de la SRESS ; dont le SRDEII peut tenir compte à travers notamment les conventions passées entre la Région et les Collectivités territoriales ou EPCI.
Voir article « politiques publiques de l’ESS »
A l’heure où nous bouclons ces lignes, nous recevons le communiqué de Martine Pinville, la Secrétaire d’État :
Source : Portail de l’ESS en Bretagne