J-P. Milesy : « Nos vœux pour l’Économie sociale et solidaire »

« Nous voyons fleurir en ces temps dédiés, de nombreux vœux ESS souvent « pieux », parfois fondés sur une certaine auto-satisfaction des acteurs. »
Jean-Philippe Milesy, délégué général de Rencontres Sociales qui œuvre à une ESS émancipatrice, alternative au capitalisme financier et à la société qu’il génère, propose ses vœux « impies » et inquiets.

 

Que pourraient être des vœux, en nous limitant à trois comme dans les contes, pour l’Économie sociale et solidaire en cette année 2016 ?

Une violence atroce a marqué le début et la fin d’une année 2015 dont on tournera volontiers la page.
Il y a eu une exploitation éhontée de cette violence par les médias comme par trop de forces politiques dont certaines n’hésitent pas à dénoncer aujourd’hui les « grandes valeurs » qui les ont hier fondées au profit des vils comportements de l’extrême-droite banalisés quand ils ne sont pas repris par Manuel Valls et Nicolas Sarkozy.
Cette exploitation pourrait profondément ébranler notre société tout entière, sapant les principes démocratiques républicains comme les solidarités et les institutions imposées par le mouvement social.

Comment dès lors, si un vaste mouvement des forces qui se reconnaissent encore dans les « grandes valeurs » décriées, et parmi elles de nombreux militants et structures de l’ESS, ne se manifeste pas, exprimer des vœux qui ne seraient pas, en conscience, vides de sens ?

Nous sommes entre deux citations d’Antonio Gramsci, souvent reprises par nos amis Patrick Viveret ou Gus Massiah
La première dit en substance qu’un ancien monde se meurt, que le nouveau monde tarde à émerger et que dans l’entre-deux naissent des monstres.
La seconde veut opposer au pessimisme de la raison, l’optimisme de la volonté.
Les monstres sont là, cherchons à montrer et à faire triompher notre volonté.

Dans ces conditions les propos introductifs de Thierry Jeantet aux dernières Rencontres du Mont-Blanc, ou le discours qu’y tint Alain Arnaud, nous donnent quelques pistes pour le travail de l’année à venir et celles qui suivront.

Le premier, à partir de la dénonciation des illusions que l’on pourrait se faire sur un capitalisme mutant, nous invite à travailler, en liaison avec les forces qui émergent ou se consolident partout dans le monde, à la définition d’alternatives économiques, sociales, environnementales et démocratiques.
Le second, président d’un CIRIEC qui tiendra en 2016 son Congrès international à Reims, dénonce les dérives libérales et l’ « uberisation » de la société, appelant à la définition de nouveaux rapports entre l’Economie sociale et solidaire d’une part, l’Economie (et les services) publique d’autre part.

Notre premier vœu sera donc celui d’un travail de fond, invitant notamment les grandes entreprises de l’ESS à se situer par rapport à ces propositions de construction d’alternatives claires et d’alliances nouvelles.

Nos amis cités ne sont pas, bienheureusement, seuls sur ces propositions.

Le CNCRES s’est ainsi associé à la démarche du CIRIEC et se met en situation de mobiliser les forces ESS des territoires dans le nouveau paysage régional français.

La Gauche Unie Européenne (GUE/NGL) qui regroupe les parlementaires progressistes élus au Parlement Européen, organise, le 28 janvier à Bruxelles ,un premier Forum ESS largement ouvert où les dimensions politiques et sociétales de l’ESS seront associées à un travail sur les formes nouvelles et expériences innovantes en Europe.

L’Institut Polanyi, sous l’impulsion de Jean-Louis Laville et en association avec de nombreux partenaires, va organiser, en mai à Paris, un important colloque sur l’actualité de Polanyi dans le contexte de crise démocratique que nous vivons.

Des forces mutualistes, comme la MGEN ou la FMF, travaillent à résister au démantèlement de la protection sociale tel que les dernières orientations gouvernementales, ou des interventions des partenaires sociaux (minoritaires s’agissant des syndicats ouvriers) comme l’ANI, ou les conséquences de directives européennes, aggravent notamment au détriment du mouvement mutualiste dans son ensemble.

Le développement des SCIC, et celui parallèle des SCOP, qui demeurent cependant encore trop marginales, témoignent d’une créativité certaine, d’aspiration des salariés et de nouvelles réponses aux errements du modèle « unique » d’entrepreneuriat revendiqué par le MEDEF et la CGPME.

Notre deuxième vœux sera donc celui de la convergence des ces dynamiques, et surtout d’un travail mené en commun pour les rendre visibles à une opinion largement soumise à l’expression de la doxa libérale.

Nous savons qu’il existe dans de nombreuses couches de la société des aspirations à de telles dynamiques, des gisements d’engagement et d’innovation.

Mais pour être visible, l’ESS doit, en son sein, mettre un terme à des pratiques banalisées voire scandaleuses qui marquent trop de ses grandes structures, justement parmi les plus visibles actuellement.
Nous l’avons écrit alors qu’elle s’est voulue « inclusive » au risque d’une indéfinition de l’ESS et donc d’affaiblissement de ses facultés transformatrices, la Loi du 31 juillet 2014, relative à l’ESS aurait dû montrer plus d’exigences quant à la conformité des pratiques et des structures aux valeurs et principes revendiqués. Un outil existe, la « révision coopérative », qu’il aurait fallu renforcer, d’autres outils auraient du être créés, des sanctions aussi auraient du être envisagées.
Tout le monde a en tête les pratiques de certaines grandes banques coopératives, de certains grands distributeurs coopératifs. Tout le monde sait la confusion autour de l’appellation même de « mutuelle » et de mutualisme.
Tout le monde sait les dérives auxquelles se laissent aller, le plus souvent sous les contraintes (destruction budgétaires, pratiques des appels d’offre…) de trop nombreuses associations gestionnaires.
Faut-il que ce soit par l’inscription dans la loi de la création d’un « guide pour l’amélioration des bonnes pratiques » que cela évolue ? Il eut été souhaitable que cela vienne des entreprises de l’ESS plutôt que par une obligation législative.

Notre troisième vœu sera qu’au sein de toutes ses structures les forces encore porteuses des valeurs et principes de l’ESS (elles n’existent hélas pas partout) pourront trouver l’énergie et les appuis nécessaires à leur réinvestissement et à la réhabilitation de leurs maisons.

Ces appuis, ils devraient les trouver si les forces porteuses d’une ambition de transformation sociale, qu’elles soient politiques, syndicales ou associatives s’investissent dans un travail de réflexion, au sein de chacune d’entre elles, ou plus surement collectivement, sur la définition des alternatives et alliances que nous avons évoquées au tout début de ces « vœux ».

On pourra nous objecter, nous l’entendons si souvent, que ces questions se heurtent à d’autres priorités auxquelles ces forces sont confrontées. Certaines de ces forces en sont à se demander si elles sont encore porteuses de cette ambition de transformation.
Mais justement ces « priorités » sur lesquelles elles se concentrent les conduisent à des échecs successifs.
Pourquoi alors ne pas travailler autrement, sur d’autres sujets et en premier lieu sur des sujets tels l’ESS qui a historiquement un potentiel de changement et de mobilisations citoyennes ?
Pourquoi ne pas s’interroger sur les solidarités mutualistes et associatives dans leurs principes ?
Pourquoi ne pas considérer l’esprit de coopération dans ce qu’il a de plus profond dans ses implications économiques, sociales et démocratiques ?

Ces appuis ils devraient aussi les trouver auprès des Pouvoirs publics. Mais ceux-ci semblent aujourd’hui, malgré les discours et encouragements, se donner eux aussi d’autres priorités, ou marquer d’autres préférences.
Saluons cependant la constitution d’une nouvelle Délégation à l’Economie sociale. C’était un de nos vœux des années précédentes ! Comme quoi…

Voici donc trois vœux, « modestes et fous » comme disait Louis Aragon.
Il nous appartient à tous, et nous sommes nombreux encore, qui avons encore de l’ESS une vision progressiste d’œuvrer pour y répondre.

Pour Rencontres Sociales : Jean-Philippe Milesy

Source : Politis