Faire système à partir des oasis de vie qui se développent 

« Comme le dit Edgar Morin, l’enjeu aujourd’hui est de parvenir à faire système à partir des oasis de vie qui se développent. Elles constituent souvent des poches de résistance, auto-organisées, respectueuses des êtres humains et de l’environnement. »

Marie-Martine Lips, présidente du Conseil national des Cress.

A l’occasion de la Fête de l’Humanité, le 11 septembre 2016, le quotidien l’Humanité publie un entretien avec Marie-Martine Lips, présidente du Conseil national des chambres régionales de l’ESS, le CNCress, organisateur du Mois de l’ESS en novembre.

En reconnaissant le mode d’entreprendre spécifique de l’économie sociale et solidaire, la loi Hamon de juillet 2014 a permis de donner de la visibilité à cette économie qui redonne aux travailleurs le pouvoir d’agir. Elle est pourtant assez absente des grands débats sur les solutions à la crise…

Marie-Martine Lips
C’est la raison pour laquelle il est très important pour nous de participer à la Fête de l’Humanité. L’ESS a aujourd’hui un besoin vital d’aller à la rencontre des citoyens, d’apparaître pour ce qu’elle est, une perspective qui peut leur permettre de se réapproprier l’économie. L’ESS est une réponse adaptée aux enjeux de développement durable dans les territoires. Elle relève le défi de la démocratie dans les entreprises. Elle porte les valeurs positives du collectif, de la solidarité dans le travail. Elle est présente absolument partout, dans la finance solidaire, la recherche médicale, le secteur social, la santé, l’enseignement, les circuits courts, la distribution alimentaire, l’industrie, l’énergie renouvelable…
C’est une économie du quotidien qui représente déjà 10,5 % de l’emploi en France, dont les deux tiers concernent des femmes. La loi a permis de lui donner de la visibilité et de la légitimer mais son changement d’échelle dépend de la manière dont nous allons nous en emparer collectivement. L’ESS possède énormément d’atouts pour apporter des réponses aux crises économiques, environnementales et sociales que nous traversons, même s’il n’est pas aisé de la définir. Elle n’est pas une filière, elle rassemble beaucoup de statuts. Elle est avant tout un état d’esprit et des valeurs qui trouvent à s’exprimer dans un large éventail de mises en œuvre.

Et demain ? Dans son université d’été, le Medef affirme assez clairement l’ambition de dédouaner l’entreprise de ses responsabilités sociales vis-à-vis du salariat. Face au « Tous autoentrepreneurs », que propose l’ESS ?

Marie-Martine Lips
Comme le dit Edgar Morin, l’enjeu aujourd’hui est de parvenir à faire système à partir des oasis de vie qui se développent. Elles constituent souvent des poches de résistance, auto-organisées, respectueuses des êtres humains et de l’environnement.
L’économie numérique est en train de bouleverser complètement la donne. Dans ce contexte, l’ESS peut faire système car elle permet de ne pas rester seul, même quand on est un travailleur indépendant. On peut être entrepreneur dans une coopérative ou indépendant mais attaché à une coopérative d’activités et d’emplois et ainsi bénéficier de protection sociale, des solidarités que confèrent les groupements d’employeurs.
Si l’ESS ne s’empare pas pleinement des nouveaux modes de production et d’échange comme l’économie circulaire ou collaborative, elle laisse la place à l’édification d’un système qui opte pour le profit avec un minimum de retombées sur le territoire.

Justement, l’ESS est une économie de territoires mais ils sont eux aussi en pleine mutation avec les nouvelles régions et une répartition différente des compétences entre les collectivités territoriales. Qu’est-ce que cela change ?

Marie-Martine Lips
Les régions ont récupéré toute la compétence économique. De ce côté, la loi nous aide car les conférences régionales de l’économie sociale et solidaire intègrent l’ESS dans les stratégies régionales de développement économique.
Nos partenaires habituels que sont plutôt les départements ont perdu la compétence économique. À nous de leur montrer qu’ils peuvent encore accompagner le développement de l’ESS, notamment dans sa mission sociale. Les communautés de communes sont un nouveau partenaire, pas toujours conscientes de l’importance de l’ESS pour structurer le développement économique d’un territoire.
De gros chantiers sont devant nous, d’autant plus que les restrictions financières des collectivités territoriales affectent le développement de l’ESS.
Le risque existe toujours d’être un supplément d’âme quand tout va bien et un supplétif social quand tout va mal. Il y a donc lieu, en parallèle, de mener le débat pour que l’argent public investi soit le plus efficace possible. Or, l’ESS redistribue beaucoup plus sur le territoire que l’économie conventionnelle. Elle est plus résiliente. Les taux de survie des entreprises à plus de cinq ans, les Scop par exemple, ont des scores excellents. Elle n’a plus à faire preuve de son efficacité. Mais elle doit encore s’imposer comme une solution crédible.

Paule Masson, rédactrice en chef
Source : L’Humanité.fr

13 septembre 2016

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