Instaurer la confiance entre collectivités territoriales et associations

Depuis le désengagement de l’État, les collectivités locales ont pris le relais du financement du monde associatif. Ces nouveaux partenaires doivent apprendre à travailler ensemble.

Cette tribune, publiée dans Le Monde, le 18 octobre 2016, a été rédigée par Hugues Sibille et Viviane Tchernonog, à l’occasion du Forum national des associations & fondations, pour faire le point sur l’état des relations partenariales entre associations et collectivités locales.

 

La tectonique des plaques susceptible de rapprocher le continent des associations et celui des collectivités locales a plusieurs causes. La première poussée vient du désengagement financier de l’État, tombé à 11 % des financements associatifs. Les collectivités locales ont répondu présent pour prendre le relais en augmentant leur participation à hauteur de 27 %. L’État ne pèse plus que le tiers des collectivités locales ! De même la décentralisation continue des compétences depuis les années 1980 a poussé à un rapprochement, certes questionné de nouveau aujourd’hui par le regroupement des régions et la loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe).

Plus que ces raisons budgétaires ou ins­titutionnelles, c’est un mouvement de fond, l’émergence d’écosystèmes territoriaux agissant pour une économie de proximité face à la mondialisation, pour la ­coconstruction de nouvelles solidarités, pour l’invention de citoyennetés actives, qui accentue l’enjeu du partenariat entre associations et collectivités locales. Face aux crises, le territoire devient un labo­ratoire d’innovations ­sociales et citoyennes, au sein duquel cette ­alliance doit jouer un rôle ­majeur pour reformuler l’intérêt général.

Les collectivités locales ont besoin des associations : elles représentent la totalité des accueils d’urgence pour personnes en ­détresse, les trois quarts de l’hébergement médico-social privé, la moitié des crèches, la ­totalité des activités périscolaires. Quelque 3,5 millions de bénévoles encadrent 17 millions de sportifs et 450 000 associations de loisirs ou de culture quadrillent le territoire.

Au-delà de ces chiffres, l’association 1901 reste qualitativement l’acteur le plus proche des populations pour ­repérer des besoins ou mettre en œuvre des politiques publiques. Qui peut, entre autres, accompagner la réforme des rythmes scolaires, lutter contre la fracture numérique, accueillir les migrants, agir contre la radicalisation, ­répondre à la dépendance ou prévenir le diabète ? Les associations !

 

L’argent, le nerf de la guerre

Hélas, si associations et collectivités locales ont besoin les unes des autres, cela ne signifie pas qu’elles sont « partenaires de confiance ». Le ­baromètre 2014 de La Gazette des communes sur le sujet montrait que 24 % des collectivités estimaient que les relations avec les associations étaient plus difficiles qu’auparavant. Autre ­signe : les réticences des élus locaux à signer la nouvelle Charte d’engagements réciproques avec l’État et le mouvement associatif en février 2014, et le peu d’engouement des collectivités pour la décliner localement. Seules quelques dizaines de chartes ont été signées. C’est peu.

La cause de ces difficultés : l’argent, nerf de la guerre. Les collectivités locales représentent 28 milliards d’euros du total du budget associatif estimé à 104 milliards par l’Insee. Mais ces chiffres colossaux ne disent rien de l’essentiel : le passage du système de la subvention à celui de la commande publique avec mise en concurrence. Aujourd’hui, plus de la moitié des financements passent par des commandes publiques ou des appels d’offres.

Ce mouvement a plusieurs ­motifs, parmi lesquels la pression des ­règles européennes concernant la concurrence et l’insécurité juridique du recours à la subvention, avec des risques de requalification, voire des risques pénaux pour les fonctionnaires. Mais aussi une volonté de gérer « au moins ­disant » dans un contexte de difficultés budgétaires croissantes pour les collectivités. Et, pourquoi ne pas le dire, leur souci d’avoir une visibilité plus grande au niveau local. Les associations vivent mal ce passage massif à la commande ­publique (qui exclut d’ailleurs les petites et moyennes), estimant que cette systématisation conduit à une baisse de la qualité du service, une précarisation des personnels et une incapacité à être force de proposition et d’innovation.

Pour promouvoir un cadre juridique plus favorable au partenariat, l’État a pris des initiatives à travers trois véhicules juridiques : charte, loi et circulaire.

La Charte d’engagements réciproques entre l’État, le monde associatif et les collectivités territoriales proposée en février 2014, s’inspirant de celle signée lors du Centenaire de la loi de 1901, eut le mérite d’élargir aux collectivités locales un engagement jusqu’ici réduit à l’État et aux associations. Elle spécifiait que « l’État et les collectivités territoriales reconnaissent la diversité, l’indépendance et la fonction d’interpel­lation du monde associatif. Leurs relations partena­riales doivent être fondées sur des ­conventions d’objectifs permettant la conduite de projets dans la durée ». C’est bien la convention, le partenariat et la durée qui sont mis en avant par une charte qui n’emporte aucun caractère contraignant pour les collectivités.

 

Sécuriser les collectivités

En revanche, l’article 59 de la loi relative à l’économie sociale et solidaire, dite « loi Hamon », de juillet 2014 a force législative et vise à sécuriser les collectivités qui veulent pratiquer la subvention en édictant que « (…) ces actions, projets ou activités sont initiés, définis et mis en œuvre par les organismes de droit privé bénéficiaires. Ces contributions ne peuvent constituer la rémunération de prestations individualisées répondant aux besoins des autorités ou organismes qui les ­accordent ».

La distinction entre marché public et subvention est claire et met fin à l’insécurité juridique des collectivités. Une circulaire du premier ministre de septembre 2015 (dite circulaire Valls) complète le dispositif, en abrogeant la circulaire Fillon précédente, et en transformant en principes d’action les orientations de la charte.

Ce cadre charte-circulaire-loi est cohérent. ­Règle-t-il pour autant les problèmes ? Non, pour deux raisons. La première tient à la difficulté des finances publiques territoriales. Sécuriser juridiquement la subvention ne remplit pas les caisses des collectivités. Le récent conflit entre l’État et les départements à propos du revenu de solidarité active (RSA) en témoigne. De nombreux départements risquent la cessation de paiement et la sécurisation de la subvention ne sécurisera pas le modèle économique des associations.

La seconde tient à la nouvelle organisation territoriale, peu simple à gérer pour les associations. Le renforcement par la loi NOTRe des niveaux « métropoles » et « régions » correspond mal à l’ancrage territorial et aux habitudes des associations. Les départements étaient d’ailleurs devenus le premier financeur des associations. Qu’en adviendra-t-il ? Si les associations ont échappé à la suppression de la clause de compétence générale pour de vastes secteurs les concernant ­(culture, sport, tourisme, éducation populaire), la carte qui se dessine sera complexe pour les partenariats entre associations et collectivités.

 

Inventer de nouveaux outils

Dans cette transition délicate, que peuvent faire les associations ? Trois pistes méritent d’être explorées. La première réside dans l’instauration d’un état des lieux des financements et le renforcement de leur capacité de dialogue avec les collectivités territoriales, incluant le niveau intercommunal et régional. Les associations ont plus que jamais besoin d’accompagnement stratégique, tel que le leur apportent le dispositif local d’accompagnement (DLA), l’Association pour le développement de l’accompagnement à la stratégie et à l’innovation de l’intérêt général (Adasi), et leurs fédérations. Il faut mettre plus de cohérence dans cet accompagnement et en diversifier le modèle économique.

La deuxième ­consiste à élargir le partenariat entre association et collectivités locales à ce que certains appellent des communautés d’action et d’autres des alliances d’intérêt général. Dans ces communautés doivent notamment figurer ès qualités les ­citoyens et les milieux économiques. Les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) en sont une première illustration. Il faut aller plus loin. Inventer de nouveaux outils comme les fondations territoriales.

Une troisième piste consiste à travailler conjointement pour passer, dans des cas précis, d’une dépense publique ­considérée comme une charge à un investissement avec retour dont on mesure l’impact. C’est à cette aune qu’il faut expérimenter les contrats à impact social (CIS) promus par le gouvernement. Il n’y aura pas d’innovation sociale sans ­innovation financière et changement de logiciel.

Ces trois pistes peuvent, avec d’autres, contribuer à ce que les associations ne soient pas traitées comme de vulgaires prestataires soumis à la rationalisation budgétaire, mais deviennent aux côtés des collectivités et d’autres parties prenantes, des constructeurs de biens communs.

 

Hugues Sibille est président de la Fondation Crédit coopératif, du think tank Le Labo de l’économie sociale et solidaire, et président d’honneur de l’Avise.
Viviane Tchernonog est chercheuse au Centre d’économie de la Sorbonne (CNRS, université Paris-I).

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