Mon entreprise peut-elle faire partie de l’ESS ?

Sollicités par des entreprises souhaitant intégrer notre Union départementale, nous nous sommes légitimement posé la question des critères d’appartenance à l’ESS – définie comme un mode d’entreprendre – dans la continuité de la loi Hamon du 31 juillet 2014.
Nous avons questionné Michel Abhervé, professeur associé à l’université de Paris-Est Marne-la-Vallée. Sa réponse détaillée et argumentée est publiée sur son blog. Nous la reproduisons ci-dessous dans son intégralité. Bonne lecture (instructive) à tous !

Tentative d’éclaircissement sur l’appartenance à l’ESS, inscription sur la liste des entreprises de l’ESS et agrément ESUS

Ayant pu constater une difficulté pour certains à comprendre comment, très concrètement, devait se mettre en œuvre le fondement de la loi ESS, il m’est apparu plus simple, plutôt que de répondre au coup par coup à  ceux qui me sollicitent, de tenter de clarifier cela dans cet article.

 

L’appartenance à l’ESS

L’article 1 de la loi (voir Loi sur l’ESS. Article 1 : principes et champ) définit un champ qui permet de savoir quelles sont les entreprises qui appartiennent à l’ESS, au sens de la loi, et peuvent donc s’en prévaloir, sous réserve de rechercher une utilité sociale définie dans l’article 2 de la loi (voir Loi sur l’ESS. Article 2 : l’utilité sociale) avec une double entrée.

La première est statutaire pour les associations, coopératives, fondations et mutuelles, avec pour celles-ci une question liée à la façon dont leur fonctionnement intègre une gouvernance démocratique, point mentionné dans le texte de la loi comme une composante obligatoire, mais sans que les modalités ne soient nullement définies.

L’entrée concernant les entreprises souhaitant se situer dans le champ de l’ESS, prévoit que celles-ci doivent prévoir les modalités d’une gouvernance démocratique avec « notamment l’information et la participation des associés, dont l’expression n’est pas seulement liée à leur apport en capital ou au montant de leur participation, des salariés et des parties prenantes aux réalisations de l’entreprise ».

Celles-ci doivent aussi inclure dans leurs statuts des clauses prévoyant une limitation des dividendes distribués aux actionnaires, l’affectation majoritaire des bénéfices à l’objectif de maintien ou de développement de l’activité de la société et le caractère impartageable et non distribuable des réserves obligatoires constituées.

Le Décret n° 2015-858 du 13 juillet 2015 relatif aux statuts des sociétés commerciales ayant la qualité d’entreprises de l’économie sociale et solidaire en précise les modalités.

On voit que l’appartenance à l’ESS suppose le respect de certaines règles : si tel est le cas les entreprises appartenant à l’ESS peuvent escompter être inscrites sur une liste qui l’atteste.

 

L’inscription au registre du commerce et des sociétés

Les sociétés commerciales doivent être  immatriculées, sous réserve de la conformité de leurs statuts, au registre du commerce et des sociétés avec la mention de la qualité d’entreprise de l’économie sociale et solidaire, comme cela est précisé à l’alinéa III de l’article 1 de la loi ESS.

 

L’inscription sur la liste tenue par les Cress

Ce sont en effet les Cress, chambres régionales de l’économie sociale et solidaire, qui ont reçu par l’article 6 de la loi ESS, la mission de tenir la liste qui, seule,  atteste de l’appartenance à l’ESS.

« Dans des conditions définies par décret, les chambres régionales de l’économie sociale et solidaire tiennent à jour et assurent la publication de la liste des entreprises de l’économie sociale et solidaire, au sens des 1° et 2° du II de l’article 1er, qui sont situées dans leur ressort. »  Loi ESS  Article 6 : les Cress

Le Décret n° 2015-1732 du 22 décembre 2015 prévoit que les  Cress ont obligation d’établir cette liste et de la rendre publique (voir  Parution du décret sur la tenue par les Cress de la liste des entreprises de l’ESS). C’est cette inscription qui, seule, permet à une entreprise de se revendiquer comme appartenant à l’ESS et d’utiliser cette appartenance dans sa communication.

Et, bien sûr les Cress doivent pour les entreprises à statut commercial avoir communication du récépissé d’inscription au registre du commerce et des sociétés comme en tant qu’entreprise de l’ESS.

 

L’agrément ESUS

Il est attribué par l’État, en application de l’article 11 de la loi ESS (voir Loi ESS. Article 11 : Entreprise solidaire d’utilité sociale). Celui-ci a curieusement choisi de confier la responsabilité de cet agrément à son échelon départemental, alors que la mise en œuvre de la politique de soutien à l’ESS relève de son niveau régional (voir Le Décret n° 2015-719 du 23 juin 2015 relatif à l’agrément «entreprise solidaire d’utilité sociale» est paru. On attend l’arrêté et Arrêté du 5 août 2015 fixant la composition du dossier de demande d’agrément).

Cet agrément suppose que les conditions précédentes soient remplies : appartenance à l’ESS et inscription sur la liste de la Cress qui seule peut l’attester

 

En résumé

Les conditions d’appartenance à la l’ESS sont définies par la loi.

Si on réunit ces conditions on peut demander à être inscrit sur la liste tenue par chaque Cress.

Et ce n’est que si on est inscrit sur cette liste qu’on devrait pouvoir demander à l’État l’agrément ESUS.

Mais

Cette procédure se heurte pour sa mise en place à un certain nombre de difficultés… 

  1. de délais : les retards à publier les décrets, dont ce blog s’est fait écho régulièrement, ont fait que ce n’est que depuis le début 2016 que les règles d’établissement de la liste par les Cress sont connues, et qu’elles ne sont pas encore opérationnelles ;

  2. de compréhension par les greffes chargés du registre du commerce et des sociétés de leur rôle dans l’enregistrement de sociétés relevant de l’ESS, et de leur capacité à procéder aux vérifications de la conformité des statuts de ces entreprises avec la loi ;

  3. de complexité liée à la fusion des régions : la convention d’agrément liant la Cress, l’État et la région fonde la délégation pour tenir cette liste dans des conditions juridiques sécurisées. Or dans nombre de régions, la Cress n’est pas encore constituée juridiquement à l’échelle de la nouvelle région, et dans d’autres la nouvelle assemblée régionale ne s’est pas encore positionnée, ce qui fait que la convention d’agrément ne peut être signée ;

  4. comme “Le silence gardé par le préfet pendant deux mois à compter de la réception d’un dossier complet vaut décision d’acceptation”, on peut s’interroger sur le risque de voir des agréments accordés de fait pour 5 ans, alors que les conditions d’appartenance au secteur ne peuvent être vérifiées, faute de capacité d’inscription sur une liste qui n’existe pas encore.

En espérant avoir bien compris et contribué à répondre à quelques interrogations.

Michel Abhervé   29 mai 2016

Source : Le blog de Michel Abhervé